on/offline talking

Le soleil timide se cache derrière quelques nuages épais.
Il fait encore trop froid pour espérer sortir les manches courtes – alors, David s’était emmitouflé dans une grosse écharpe et un cardigan en laine. Et il arrive toujours à avoir froid ! Frottant ses mains gantées ensemble, David traîne des pieds dans l’herbe à moitié gelée, cherchant les pauvres rayons du soleil afin de se réchauffer un minimum.
Samedi matin. 9H pile. D’ordinaire, David est encore dans son lit, à cette heure-ci (même s’il doit toujours se lever aux alentours de sept heures pour la première promenade de Soleil… mais ensuite, c’est de retour au lit), et la fatigue se fait sentir avec un long bâillement. D’un air distrait, il lance la balle de tennis cachée dans la poche de son cardigan, aussi loin que possible, après avoir détaché la laisse de son chien. Puis, soupirant, il se laisse tomber sur le banc derrière lui, fermant les yeux un instant.

Oui, au final, il se sentirait un peu mieux dans son lit. Mais aujourd’hui, il était obligé de se lever et avec un coup de pied s’il le faut ! Pour rien au monde il raterait sa rencontre avec Karen… enfin, ce n’est pas vraiment une « rencontre » puisqu’ils se connaissent déjà, mais David ne l’a jamais vue en chair et en os, tout comme elle. Leurs discussions se limitent à des lignes de texte et des émoticônes qui tentent de rendre le tout un peu plus vivant.
David est partagé entre un étrange mélange de stress et d’impatience. Certes, il est toujours aussi nerveux qu’il est en général, mais en même temps, ça fait si longtemps qu’ils se parlent et même si David trouve qu’il n’arrive pas à tenir une conversation de vive voix, il a juste envie de parler à Karen « pour de vrai »…
Et puis, c’est juste si gros qu’ils vivent dans la même ville ! Si ça se trouve, ils se sont déjà croisé dans le savoir…

Le bruit de pas semble réveiller David – qui relève d’un coup la tête pour voir Soleil qui revient vers lui avec la balle de tennis coincée entre ses dents. Quelques grattouilles derrière l’oreille, puis la balle vole à nouveau et Soleil part au quart de tour. David observe son portable d’un air songeur – comme s’il était à la recherche d’un message ressemblant à « où es-tu ? », mais rien ne s’affiche sur l’écran si ce n’est l’heure.
Et puis, une ombre s’approche. Et David – même si au fond, il n’est pas du tout sûr de lui – semble reconnaître son amie, bien qu'il n’ait jamais vu une photo d’elle.
Après tout, qui peut se promener dans un parc à neuf heures du matin ? (Oui, c’est ça, essaie de te rassurer d’une façon aussi idiote, David…)

Avec un petit sourire, petit coup de stress qui électrifie son cœur, David arrive à la hauteur de la jeune fille, enfonçant ses mains dans les poches de son cardigan pour éviter de se tordre les doigts (manie stupide qui le suit depuis tout petit dès qu’il aborde quelqu’un).
Ah, oui, maintenant, il faut parler.

« Salut ! C’est toi, Karen ? » sous l’effet de sa nervosité, David parle un peu fort. Il voit Soleil se tourner vers lui du coin de l’œil. « C’est super de pouvoir enfin se rencontrer ! Je dois t’avouer que je ne t’imaginais pas comme ça… »

Puis, il se rend compte qu’elle pourrait le prendre mal.
Ah. Oups ?

« Je ne dis pas ça parce que je te trouve moche ou je ne sais pas quoi, hein ! » (mince, il s’enfonce encore plus). « Tu n’es pas moche, je te rassure. C’est juste que… comment dire ? Ça fait juste bizarre de te voir, en vrai. Mais c’est cool ! »

(Tais-toi, David. Arrête le massacre.)

on/offline talking

Il est vrai que rien – absolument rien – ne lui confirme que cette fille qu’il aborde est bien celle qu’il a rencontrée au détour d’un blog et qui a accepté de voir ses textes traduits dans diverses langues.
Peut-être que David aurait dû lui demander une photo ou une description physique afin d’éviter de se tromper – après tout, ils ne doivent pas être les deux seuls habitants de cette ville qui passent dans ce parc et la fille qu’il vient d’aborder peut être n’importe qui. En fait, David avait une chance sur cent de tomber sur son amie et pourtant, il s’est tout de même jeté à l’eau.
Sans doute parce qu’il est idiot.

Mais il remarque bien l’air abasourdi de cette jeune fille.
Il remarque bien qu’elle ne semble pas savoir de quoi il parle.

Ah. Alors il s’est vraiment trompé ?
Devant sa médiocrité, David ouvre la bouche pour la refermer juste après, restant silencieux un trop long moment pour que la situation ne devienne encore plus gênante. Puis, sans prévenir, David claque la paume de sa main contre son front avec ce qui ressemble à un grognement plaintif ; et, avec un sourire tordu, il agite ses mains gantées comme pour dire « non, non, ce n’est rien ».
La honte. David a juste envie d’aller s’enterrer sous l’arbre là-bas, où Soleil s’amuse comme un fou, et ne plus jamais revoir cette fille et le parc. Il ne va plus jamais demander à qui que ce soit sur Internet de se rencontrer et il n’aura plus à risquer des malaises pareils. Non mais franchement, ce n’est pas possible d’être aussi peu dégourdit que lui.

« Oh, euh… » ah, sa voix lui est enfin revenue. « Je suis vraiment désolé, je dois donner l’impression que je t’agresse ! » (oui, carrément. Alors, il faudrait peut-être arrêter de parler autant et la laisser partir). « J’ai juste pensé que tu étais la personne que j’attendais ici, mais je ne savais pas à quoi elle ressemblait, du coup je me suis dit que c’était toi… »

(Pourquoi ressent-il le besoin de se justifier ? C’est tout, ce n’est pas elle, il faut la laisser tranquille et ne plus lui raconter sa vie. Elle a sûrement autre chose à faire que de parler avec un grand idiot comme David.)
Alors, il s’écarte et retourne se rasseoir sur le banc, tout penaud et sentant son cœur battre la chamade, les joues toujours rouges de honte. Soleil, comme s’il avait senti le soudain changement d’humeur de son maître, retourne à ses côtés et presse sa truffe entre ses mains.
Avec Soleil, il n’y a pas besoin de mots pour se faire comprendre, depuis qu’ils sont liés.

Et David sait bien qu’il va avoir un mal fou à oublier sa gaffe.